Abandon de poste et démission : la fin du « trompe qui peut »
Published on :
24/11/2022
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Le projet de loi portant « mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi », adopté il y a quelques jours, institue une présomption de démission du salarié ayant abandonné son poste.
Ce futur article L. 1237-1-1 a fait couler un peu d’encre et ému quelques observateurs et commentateurs : pour remettre les choses en perspective, on se rappellera que, dans le même temps, les salariés de Twitter, récemment repris par Elon Musk, ont eu à « cliquer » entre « être à fond à l’extrême » ou être viré. L’offense faite aux salariés français par le Législateur est donc toute relative.
En matière de changement de normes, les détracteurs se réclament le plus souvent, de l’orthodoxie juridique : ils s’en trouvent ainsi confortés, à tort ou à raison, dans leur position de sages ou d’experts, qui est, il est vrai, plus flatteuse que celle de mauvais joueurs.
Or le nouveau texte souffre peu de critique si l’on considère, justement, le contexte juridique dans lequel il s’inscrit :
- Le contrat de travail doit s’exécuter de bonne foi ; ce principe, inscrit à l’article L 1222-1 du Code du travail s’en tient, se faisant, à rappeler celui posé de très longue date par l’article 1104 du Code civil. Le contrat est la somme des engagements réciproques et librement consentis des parties : on n’entre pas dans les liens d’un contrat pour tromper ou piéger son partenaire. Ce principe, fréquemment invoqué à l’encontre de l’employeur dans les contentieux prud’homaux, l’est moins à l’égard du salarié ; il ne lui est pourtant pas moins opposable.
- Le droit n’admettant pas, au nom de la liberté, les obligations perpétuelles, il règle les conditions d’exercice de cette liberté, c’est-à-dire à la fois les modalités du désengagement par la rupture et celles de l’exonération, à raison des circonstances. Dans la relation de travail, l’exercice du droit de retrait ou la maladie, en sont des exemples parmi d’autres. Mais on ne parle alors pas d’abandon de poste puisque l’abstention du salarié a une cause légitime, pour peu qu’il en justifie auprès de son employeur. Ce qu’il doit faire, au titre de son obligation de loyauté, qui est le prolongement naturel de l’exécution de bonne foi.
- Sous ces réserves, la partie au contrat qui ne fait pas sa part est, a priori, en tort. Mais comme on vient de le voir, la loi réserve à ce principe des exceptions, qui pourront peut-être l’exonérer de sa « faute ». En l’occurrence la présomption, si elle n’a pas été détruite par le salarié, avant que l’employeur n’en tire les conséquences, en justifiant d’une cause exonératoire, peut encore l’être devant le juge : le salarié peut en effet saisir le conseil de prud’hommes et prouver qu’il était, par exemple, plongé dans un coma profond ou détenu contre son gré par de dangereux brigands. Le propre de la présomption est précisément de faire peser la charge de la preuve sur celui qui la combat.
- Selon la jurisprudence, la démission ne se présume pas : autrement dit, l’intention de la partie en cause doit être explicite et à défaut, il est impossible d’en tirer une qualification assortie d’une sanction juridique. Cette règle demeure ; car ici le traitement de l’abandon de poste vise à éclairer cette intention en informant nécessairement le salarié de la conséquence de son comportement, s’il ne détruit pas la présomption dans le délai qui lui est imparti. Où l’on retrouve une manifestation de l’obligation de loyauté, de l’employeur cette fois-ci, qui ne saurait prendre le salarié en traître… Un décret doit venir préciser ce délai pendant lequel l’employeur ne pourra pas « actionner » la présomption.
- Enfin, ce n’est pas le premier texte qui, si l’on ose s’exprimer ainsi, fait parler le silence du salarié : celui-ci vaut déjà consentement à la modification de contrat pour motif économique (Article L 1222-6 du Code du travail) ou résultant d’un accord de performance collective (Article L 2254-2).
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