Vers une renaissance de l’action de groupe en discrimination ?
Author : Maître Christian BROCHARD et Maître Marion DEWERDT
Published on :
12/12/2024
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La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 a introduit l’action de groupe en matière de discrimination, permettant aux organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, dans la branche professionnelle, ou au niveau national et interprofessionnel de saisir le Tribunal judiciaire afin d'établir que plusieurs salariés ou plusieurs candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise font l'objet d'une discrimination directe ou indirecte, fondée sur un même motif et imputable à un même employeur.
Cette loi venait initialement répondre à une volonté du législateur de réduire le nombre de contentieux individuels en facilitant l’engagement des poursuites collectives.
Cependant, les premières juridictions du fond saisies de ces litiges ont considéré que, contrairement aux actions de groupe en matière de santé publique, de données personnelles et de consommation qui, elles, sont soumises au principe jurisprudentiel constant selon lequel une loi de procédure est immédiatement applicable aux faits antérieurs à son entrée en vigueur, seuls les manquements ou faits générateurs postérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi peuvent être invoqués, et ce, même si leurs effets continuent de s’exercer après cette date.
En d’autres termes, la jurisprudence a institué un principe de non-rétroactivité qui a considérablement réduit le périmètre des faits pouvant être invoqués dans le cadre de ces litiges.
Les syndicats ainsi que le Défenseur des droits n’ont eu de cesse de s’élever à l’encontre de cette particularité juridique favorable aux entreprises, considérant qu’elle portait atteinte au principe d’effectivité du droit à la non-discrimination.
Il apparaît que leur argumentation a finalement trouvé un écho favorable, la Cour de cassation ayant décidé de réexaminer le principe de non-rétroactivité, à la lumière du principe fondamental d’égalité devant la loi.
C’est le sens de l’arrêt rendu par la Chambre sociale le 4 décembre 2024, dans lequel elle considère que ce principe de non-rétroactivité caractérise une différence de traitement « susceptible de ne pas être justifiée dans la mesure où il pourrait être considéré qu’elle n’est pas en rapport direct avec l’objet de la disposition en cause ».
C’est en tout cas la question à laquelle devra répondre le Conseil constitutionnel qui a été saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).
Si les Sages devaient s’aligner sur le raisonnement de la Chambre sociale, le champ d’application de cette action s’en trouverait sensiblement élargi dans la mesure où les justiciables pourraient invoquer des faits générateurs anciens, ou, à tout le moins, antérieurs à 2016, sous réserve que leurs effets continuent de s’exercer dans le délai de prescription quinquennal applicable en matière de discrimination.
Comme bien souvent, cet élargissement s’effectuera au préjudice des entreprises, qui devront fournir des efforts importants en matière de mise en conformité afin de lutter contre la recrudescence de ces contentieux, y compris sur des pratiques perçues comme discriminatoires, mais non intentionnelles (à titre d’exemple, l’exigence d’un minimum d’années d’expérience, bien qu’apparemment neutre, pourrait être considérée comme une entrave à l’accès des jeunes travailleurs au marché du travail.).
En effet, les coûts élevés induits en cas de condamnation (dommages-intérêts collectifs, mise en conformité) constituent souvent un moindre mal par rapport à l’atteinte portée à l’image et à la réputation de l’entreprise en cas de médiatisation de l’affaire.
Cela peut toutefois être l’occasion de mettre en place des politiques proactives en matière de diversité ou d’inclusion, et, par la même occasion :
- de renforcer la réputation de l’entreprise auprès de ses collaborateurs, clients et partenaires ;
- d’attirer et de fidéliser des talents sensibles à ces valeurs dans un contexte de tension du marché de l’emploi.
Article co-écrit par Maître Christian BROCHARD et Maître Marion DEWERDT
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